Directive express

Publié le par Lynn

On ne cesse de se plaindre de la lenteur des institutions européennes, les accusant de mettre des semaines, voire des mois, avant de parvenir à un accord sur un texte. Pourtant, la Commission européenne vient de faire preuve d’une célérité à tout épreuve. A peine 20 jours après que le Parlement européen ait voté une série d’amendements sur la très controversée directive sur le temps de travail, voilà que la Commission, il y a deux jours, propose une nouvelle version de cette directive !

Il est légitime de se demander ce que cache le zèle inhabituel des commissaires européens. La version modifiée de la directive n’est en effet pas anodine. Elle anéantit purement et simplement les amendements du Parlement, les rendant caducs et faisant repartir le processus d’examen du texte à zéro. Les parlementaires européens avaient pourtant fait un geste envers la Commission, en acceptant que la durée moyenne maximum de 48 heures de travail par semaine soit calculée sur une période-référence de 12 mois au lieu des 4 mois aujourd’hui en vigueur. Mais la volonté du Parlement de supprimer l’ « opt-out », cette clause permettant aux Etats d’aller jusqu’à 65 heures de travail par semaine en cas d’accord entre l’employeur et l’employé, n’a pas plu à la Commission, tout comme l’exigence parlementaire de capitaliser tous les temps de garde, alors que la Commission prévoyait de ne tenir compte que des temps de garde actifs.

Il y a fort à parier que le texte amendé par le Parlement aurait rencontré de sérieux écueils s’il était parvenu devant le Conseil de l’Union européenne. Outre le Royaume-Uni, seul pays à appliquer aujourd’hui l’ « opt-out », l'Allemagne, la Pologne, l'Autriche, la Hongrie, Malte, Chypre et la Slovaquie n’ont pas caché leur attachement à cette clause de dérogation. Mais selon toute vraisemblance, la directive aurait tout de même été votée. C’est pourquoi la Commission a préféré prendre les devants, réduisant ainsi au silence le Parlement, considéré par une majeure partie de l’opinion publique comme seule instance européenne véritablement démocratique car élue, et ce au profit d’une mesure libérale.

Un temps de travail accru, face à un temps de vie de famille inévitablement réduit… Alors qu’il y a quelques jours la France disait massivement non à une Europe trop peu sociale à son goût, le geste posé ici par la Commission européenne n’a pas de quoi apaiser les craintes d’une partie des européens face à la tendance ultralibérale qu’adopte l’Union européenne. Cette orientation fait l’affaire des pays plus libéraux, comme le Royaume-Uni, qui va prendre d’ici un mois les rennes de l’Union européenne. Le geste de la Commission aura d’ailleurs pour conséquence de retarder le vote de la directive auprès du Conseil de l’Union européenne, vote qui se fera au moment où les britanniques présideront le Conseil et seront donc en position de force…

 

D’aucuns ne se sentiront pas concernés, estimant que la décision d’utiliser l’ « opt-out » relève de chaque Etat-membre. Mais ils pourraient vite changer d’avis, si la directive Bolkenstein, elle aussi largement décriée, venait à être votée. On pourrait alors imaginer Svetlana, employée slovaque dans une entreprise belge, soumise aux lois sociales slovaques, donc percevant un salaire 30 à 40 % plus faible que les salaires nationaux, et pouvant travailler jusqu’à 65 heures par semaines. Nul doute que les employeurs n’hésiteront pas longtemps à l’embaucher…

 

Texte rédigé le 19/11/05

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